La Bolivie était le pays dont je devais m'occuper: l'Amérique latine profonde, des paysages grandioses, purs. Des montagnes enneigées!
Il faut bien dire que nous sommes restés sur notre faim en Equateur avec l'ascension manquée du Cayambe en raison du mauvais temps. Nous étions au pied de cette belle montagne de glace, le souffle ralenti. Nous avions fait notre école de glace, appris les techniques de marche sur glacier. Nous avions touché à l'ambiance de refuge. Nos ambitions s'étaient arrêtées là. En un coup de vent. 
Alors la Bolivie et sa cordillère Royale: une série de pics sur 200km; je me suis mise à rêver de nouveau. Et un des "coups de cœurs" du Routard était le Huayna Potosi, culminant à 6088m! Décrit comme un des 6000 "les plus accessibles au monde" (on y reviendra...),réservé tout de même aux "grimpeurs expérimentés" car "on en bave quand même" (euphémisme!). 
Quelques arguments suffiront à convaincre Nicolas. Nous voilà partis pour 3 jours et 2 nuits d'aventure. L'équipe se compose d'un couple d'argentins, d'un allemand et d'un indien. Tout le monde parle espagnol, nous sommes contents. La première journée nous conduit en voiture jusqu'au premier refuge situé à 4750m au niveau d'un barrage. Nicolas est aux anges. La vue est magnifique,une étendue d'eau de glacier d'un bleu laiteux, le Huayana à portée de main. Toute cette belle troupe part équipée au niveau du glacier afin de rappeler les règles: la marche avec crampons, la manipulation du piolet et en prime une escalade encordée de 8m à 70°C sur le glacier (je vous assure que 8m c'était suffisant!). 
Le deuxième jour nous rejoignons le second refuge à 5400m. La marche se fait sur du rocher, le souffle tient. Nous aurons le luxe d'être au chaud les quelques heures de sommeil que nous aurons. Un groupe de 3 militaires brésiliens nous rejoint: ils sont sportifs et ont sauté l'étape du 1er refuge.
Couchés à 19h30, nous nous levons à minuit. Nous nous équipons, petit-déjeunons. Nicolas a mal à la tête. Après un ibuprofène et plusieurs tasses de Maté de coca, il est prêt. Esteban, un des guides, a souhaité faire l'ascension avec nous. Il a su que nous étions des grimpeurs et pense sûrement que cela sera plus facile avec nous. Erreur. Il est 1h, nous partons encordés, Esteban ouvre la marche tandis que Nicolas est derrière moi. Ça part directement sur de la neige. Ça monte assez rapidement aussi et ça monte bien. Il fait nuit. Grâce à ma frontale je suis Esteban. Pour le reste, il fait noir. Je ne vois rien. Mais je pense. Je pense que je suis en train de marcher sur de la neige, sur une pente ascendante, avec des crampons. Rien de très naturel.  Et je n'ai même pas la vue pour me récompenser de mes efforts. C'est juste physique... Même si mes jambes suivent, petit à petit c'est le mental qui pose problème. Je perds ma motivation. Je multiplie les pauses. On nous dépasse. Et quand je regarde en l'air j'aperçois les lumières des autres frontales. Certains points lumineux sont bien plus haut que moi. Coup au moral.
De plus le manque de sommeil commence à se faire sentir. Je suis dans un état second, je titube parfois car mes yeux se ferment! Nicolas, qui me suit, commence à s'inquiéter. À chaque pause j'ai le droit à un bout de Twix mais je suis trop fatiguée pour mâcher. Je le rassure, ça va, je n'ai pas mal à la tête, je respire bien. J'en ai juste marre de monter!
J'apprends que les Brésiliens ont fait marche arrière. Ils n'iront pas jusqu'au sommet. Et ceux ne sont visiblement pas les seuls, des groupes d'autres agences abandonnent. Moi aussi j'y pense. Je me dis qu'il faut continuer encore un peu et aviser plus tard. Oui mais voilà les 2 autres groupes de notre agence sont devant. Si j'abandonne, Nicolas ne peut les rejoindre, il rentre aussi. Et puis comme à chaque fois, sans raison, j'ai un second souffle. Le mental se re-gonfle à bloc. Nous arrivons sur une partie que nous appelons les Pénitents. Finie la marche, il faut s'aider de son piolet, piquer, grimper, ne pas tomber. C'est plus dur mais moins monotone. Ça me réveille. Mes réflexes de grimpeuse m'aident sans aucun doute. Le soleil se lève peu à peu. Je lève ma tête et là...enfin...j'aperçois le sommet! Je sais que j'irai au bout. Bon, ça reste un sommet, quand on croit arriver on ne l'est pas! C'est à 6h30 que nous ferons notre photo de victoire. 
6088m d'altitude nous y sommes. Nicolas a envie de pleurer, il n'y croyait pas! que je le ferai! Et quelle surprise, nous ne sommes pas les derniers. On voit encore beaucoup de personnes derrière nous, souffrant dans les quelques mètres les séparant de la délivrance. Il faut se dépêcher car nous ne sommes pas les seuls à vouloir immortaliser ce bonheur.
Ce bonheur, oui! Tout est beau, blanc, pur et grand. Un instant magique qu'on apprécie d'autant mieux car il a fallu aller le chercher. 
Sur le chemin du retour (2h de plus...), on comprend car on voit. On voit cette pente, on voit les crevasses, on voit l'immensité. Et on se sent petit. 
Je m'appelle Margaux, j'ai bientôt 30 ans, j'aime mon mari, je suis heureuse et j'ai franchi un 6000.